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L’hybridation, ou comment décarboner le transport maritime

Confronté à l’obligation de réduire ses émissions de CO2 à horizon 2050, le transport maritime s’ouvre peu à peu à de nouveaux moyens de propulsion, notamment à l’éolien. Un univers dans lequel VPLP Design, de par son expérience développée en course au large, a un savoir-faire qui a déjà séduit des armateurs, à l’instar du projet Canopée. Explication avec Marc Van Peteghem, cofondateur de l’agence.

Comment l’agence s’est-elle intéressée au thème de la décarbonation et aux solutions d’hybridation, entre propulsion vélique et motorisation ?
Pour répondre à cette question, il faut prendre un peu de recul : il y a 200 ans, on a mis des machines à vapeur sur des bateaux à voiles, mais on a gardé les voiles, parce que la densité énergétique du charbon était telle que si on voulait traverser les océans, il fallait une quantité de charbon énorme qui ne laissait plus de place pour la marchandise dans les cales. Cette histoire d’hybridation était déjà à l’époque au cœur des réflexions. Deux siècles plus tard, il se passe la même chose dans le transport moderne, dans le sens où les biocarburants du futur, qu’on attend avec impatience et devraient être là dans dix-quinze ans, ont une densité énergétique plus faible que le fuel actuel, ce qui signifie qu’ils vont prendre plus de place. L’hybridation avec le vent a donc du sens. Elle en a aussi, évidemment, compte tenu des enjeux climatiques, avec une double contrainte, celle de la réglementation de l’OMI (Organisation maritime internationale) de réduction de moitié des émissions de CO2 en 2050, et celle des taxes carbone qui commencent à se mettre en place. D’un autre côté, il y a une pression sociétale, mais également des financeurs, de plus en plus forte vers un transport plus propre. Ce qui fait dire à certains spécialistes qu’il faudra construire 40 000 bateaux dans les dix prochaines années si on veut répondre à toutes ces contraintes.

C’est là que l’agence se positionne ?
Oui, la problématique pour les architectes est de faire en sorte de mettre de nouveaux moyens de propulsion sur des bateaux qui, à l’origine, ne sont absolument pas faits pour fonctionner de cette façon. Aujourd’hui, certains armateurs vont hésiter à engager des frais très importants sur des bateaux existants, ils vont juste investir pour se conformer aux contraintes environnementales ; d’autres vont miser sur des bateaux neufs, pour lesquels le jeu est complètement différent : on va aller rechercher une meilleure efficacité globale sur le long terme, en travaillant dès le début sur ce concept d’hybridation. Dans cette optique, VPLP a toute légitimité, avec les outils qui ont été développés dans le monde de la course – et notamment le concept d’aile que nous avions lancé sur le trimaran USA 17 d’Oracle pour la Coupe de l’America 2010 – pour proposer des solutions afin d’hybrider les bateaux, mais également de trouver le meilleur équilibre aérodynamique et hydrodynamique possible, exactement comme on le fait dans la course.

Vous en êtes déjà à une phase très concrète, puisque vous avez travaillé sur Canopée, cargo à propulsion hybride équipé de quatre ailes, destiné à transporter les éléments de la fusée Ariane entre l’Europe et la Guyane, comment avez-vous concrètement apporté cette touche technologique ?
Nous avons particulièrement soigné l’aérodynamique, notamment sur le château avant, dessiné de façon à ne pas perturber l’intégration des ailes et l’écoulement de l’air. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur l’équilibre longitudinal du navire, c’est important de voir que le réglage global de l’aérodynamisme ne va pas être forcément le meilleur réglage de chacune des ailes indépendamment les unes des autres, mais celui de l’ensemble du bateau, il faut faire attention à ne pas induire trop de dérive ou d’angle de safran. Et d’un point de vue hydrodynamique, nous effectuons beaucoup de recherches liées au fait que, avec la propulsion éolienne apportée par les ailes, l’hélice actionnée par les moteurs tourne dans un flux qui avance déjà, ce qui a nécessité de se pencher sur les réglages de cette hélice. La vitesse est un sujet sur lequel nous nous penchons également, sachant que les ailes entièrement automatisées et optimisées, conjuguées à une propulsion classique, permettent de réduire, à petite vitesse, les émissions de CO2 de l’ordre de 30 %, et à pleine vitesse de 20 %. Si on veut consommer de moins en moins, il faut donc réduire la vitesse ou avoir des plans de voilure plus efficaces.

Avez-vous le sentiment que le secteur maritime bouge et que vos propositions reçoivent de l’écho ?
Oui, clairement, on sent qu’il y a un virage qui est en train de se prendre. Maintenant, personne ne nous attend vraiment, mais comme personne ne pensait intégrer la propulsion éolienne il y a quelques années ! L’évolution se fera à des vitesses différentes, mais j’espère bien que le projet Canopée entrera dans l’histoire du transport maritime, cela voudra dire que de notre petite fenêtre d’architectes navals, nous aurons réussi à faire bouger les lignes. Nous travaillons aussi sur des projets de petits cargos et de navires de transports à passagers car la taille des bateaux doit à mon sens diminuer, c’est plus difficile de décarboner un très gros bateau.

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